Fondatrice, enseignante et consultante de Slow Fashion Next
Nous avons voulu commencer ce blog par une interview avec une personne qui a été notre référence pendant les phases de recherche et de gestation de ce qui allait devenir Miu Sutin et qui continue d’être une personne importante grâce à son travail de diffusion de l’information sur la mode durable et ses défis : il s’agit de Gema Gomez.
Bien que l’on dise souvent que la mode durable a tendance à être intemporelle (modèles minimalistes, dans des couleurs naturelles discrètes), pensez-vous qu’à l’avenir, nous aurons accès à des collections plus innovantes, plus « risquées », avec des imprimés très tendance, pour obtenir une garde-robe entièrement durable ?
Je pense que la tendance de la mode durable apporte une innovation étonnante dans les matériaux. Avant tout ce mouvement, il n’y avait pas d’Orange Fiber ou de Piñatex, parmi de nombreux autres tissus qui innovent, je pense que la tendance durable apporte beaucoup d’innovation. Il est vrai qu’on écoute souvent que les processus sont encore limités et qu’il faut parfois faire des choix qui limitent, mais je pense au fond que cela devrait être tout le contraire. J’y vois une opportunité pour toutes les personnes qui veulent innover de commencer à se poser des questions en fonction de leurs besoins : existe-t-il une teinture de la couleur dont j’ai besoin qui soit durable ? Si elle n’existe pas, comment pourrait-elle être réalisée ? Comment développer cela ? Que diriez-vous d’un lycra dégradable, par exemple ?

➡️ ¿Selon vous, quel aspect de la durabilité surprend le plus les personnes qui commencent à s’informer sur le sujet ?
Je pense qu’il y a différents aspects, mais je dirais peut-être quand ils évaluent le volume, parce que cela semble être quelque chose qui est en quelque sorte caché.
Tout le monde parle de Join Life, Conscious ou Commitment, ils ont tous en commun de ne pas parler de deux choses : la surproduction et les déchets qui l’accompagnent, le pire c’est que les estimations sont à la hausse ! C’est pourquoi, lorsque vous commencez à expliquer tout cela lié aux différents impacts des matières les plus conventionnellement utilisées, les gens sont très surpris.
➡️ Selon vous, quel pouvoir ont les petites marques dans la lutte pour un monde plus durable ?
Je crois que le pouvoir que nous avons tous est le pouvoir de décider. Dès que nous mettons notre argent dans un modèle différent, nous avons le pouvoir de changer les choses, car c’est ce qui génère la traction pour que tout ce qui est derrière nous change. C’est pourquoi les petites marques sont l’alternative, mais nous ne pouvons pas leur demander à elles seules de faire le changement : nous avons besoin de législation, d’éducation, de subventions, d’aides pour les optimiser, les rendre rentables, baisser leurs prix et leur permettre d’être plus compétitives sur le marché, et il devrait même y avoir des sanctions pour les entreprises qui ne font pas bien leur travail.
Je pense donc que, même si ces petites marques sont la clé (car les modèles décentralisés sont ceux qui sont vraiment durables), elles ne peuvent pas le faire seules, tous les maillons de la chaîne sont nécessaires.

➡️ Devons-nous faire confiance aux actions de durabilité des grandes entreprises ? Comment pouvons-nous nous assurer que l’engagement et l’impact positif sont réels ? Devrions-nous leur donner un vote de confiance en récompensant les petits pas vers un meilleur modèle ?
Personnellement, je n’aime pas trop les grandes enseignes, car je ne pense pas qu’elles aient intégrées de nouvelles valeurs. Les formations qu’elles font ne parlent généralement pas de la réalité de leurs employés et moi, qui les surveille depuis longtemps, j’ai vu qu’elles sont réactives, et que ce qu’elles veulent, c’est être sur la liste Forbes des meilleurs chiffres, donc… Honnêtement, je ne leur fais pas confiance.
Bien sûr, s’il y avait une réelle volonté de faire un modèle vraiment durable, j’adorerais les aider et les accompagner, mais je ne pense pas que la façon dont ces entreprises travaillent actuellement soit la bonne ; car ce qu’elles veulent maintenant, c’est continuer avec ce volume de surproduction, de croissance infinie… personne ne met de limite à sa production. A partir de là, tout le monde peut être un peu plus efficace, mais ils continuent à faire des tendances, toutes les deux semaines ils renouvellent les produits en magasin et continuent avec des campagnes comme le Black Friday….. alors pour le moment je ne leur fais pas confiance.

➡️ Pensez-vous qu’il soit possible de démocratiser la mode durable à l’avenir et qu’elle ne soit plus l’exception ou l’alternative ? Quelles sont vos attentes pour l’avenir à cet égard et quels sont, selon vous, les délais minimaux pour atteindre des résultats significatifs ? Sera-t-il possible de faire disparaître la fast fashion telle que nous la connaissons ou de la réglementer suffisamment pour qu’elle ne soit plus aussi dommageable en termes de coûts environnementaux et humains ?

Je crois vraiment que tout va changer, mais le problème est que le changement, la transformation qui s’annonce, ne se fera pas sans heurts. Les grandes entreprises devraient penser que pour un consommateur sensibilisé, le passage de 10 achats à 2 achats mais de qualité et pour un produit qui le représente, je pense que cela se fait très rapidement, car il suffit de regarder un documentaire pour que cette information vous fasse changer de paradigme pour toujours.

Il est vrai que pendant tout ce temps, les marques de mode durable ont évolué, de nouvelles sont nées, avec un meilleur style, certaines petites réussissent très bien et en vivent déjà très bien… c’est pourquoi pour moi les expectatives pour l’avenir – et surtout maintenant que nous avons le plan européen – sont très optimistes, je sais que ce ne sera pas facile, et que ce sera parfois difficile, mais le monde traverse des situations très complexes, ce qui se passe en Colombie, ce que le Venezuela a traversé pendant toutes ces années….
Je pense qu’en fin de compte, l’important est que chacun d’entre nous, dans sa vie quotidienne, dans son cercle d’influence, comme l’a dit Stephen Covey, fasse ce qu’il peut ; je pense que l’évolution de l’humanité va dans ce sens. Sinon il n’y aura pas d’évolution et nous ne survivrons pas, donc de mon point de vue, cette idée est vraiment la seule valable.